«Il y a celui qui est d’un côté
et celui qui est de l’autre,
celui qui a les clés
et celui qui les a pas.»
Catherine, ma mère, Florie et Perrine mes deux soeurs travaillent ou ont travaillé en hôpital psychiatrique.
Nous avons ensemble parlé d’enfermement, de contention, des postes qui ont été supprimés, au fil des années,
des patient·es qui les ont touchées, des collègues, de la télé toujours allumée, des manifestations avec les soignant·es
et les patient·es, de la violence de l’institution, des jours où il n’y a pas le temps, des chansons dans les couloirs,
des fois où c’est triste, d’autres fois où c’est beau.
Illustrations, mise en page et propos recueillis par Eloïse Pardonnet
Catherine, Infirmière
Catherine a été infirmière en service fermé et en service d’admission
adulte avant de travailler en pédopsychiatrie jusqu’à sa retraite.
«C’est au lycée que je me suis interéssée à la psychiatrie.
Je me souviens, quand j’étais gamine on disait « les fous ».
Et moi je me demandais: Qu’est-ce qui fait qu’on devient fou ? Est-ce que ce n’est pas possible de les voir autrement que comme des fous à lier ? Avec du recul, iels sont surtout fous de souffrance.
En sortant du diplôme, à 21 ans, j’ai été employée en hôpital psychiatrique. C’était en 1979.
Petit à petit, j’ai ressenti les choses se durcir dans la prise en charge.
Dans les années 2000 il y eu un tournant très sécuritaire dans la societé, ça s’est aussi répercuté sur la psy, bien sûr.


Globalement j’ai aussi la sensation que les gens ont d’avantage peur de l’autre qu’avant.
Quand je suis arrivée, il n’y avait pas de chambres d’isolement là où je travaillais. Je n’ai pas non plus connu la camisole, les choses comme ça.
Il y avait par contre plus de personnel.


Pendant un très court passage, j’ai été dans un service de personnes qui étaient pour la plupart autistes avec de lourdes déficiences, Ils ne supportaient aucun vêtement.
C’était très impressionnant, ces personnes nues, dans une immense pièce, toute carrelée de blanc jusqu’au mur.
Au milieu, il y avait un égout, on lavait la salle au jet.
Ils vivaient chacun dans une pièce seuls, sans lien les uns entre les autres, ça faisait un peu penser à « vol au dessus d’un nid de coucou.»
C’était vraiment d’un autre temps...


Beaucoup de choses ont tout de même changé positivement depuis cette période.
Quand je suis arrivée c’était des dortoirs à quatre lits par exemple, pas de chambres individuelles.
Il y avait aussi une sorte de grand dressing, pour habiller les patients, on y prenait n’importe quelle fringue, personne n’avait ses propres habits.
Parfois la taille n’allait pas du tout, puis comme on considérait que c’était risqué d’avoir des ceintures, on devait bricoler des sortes de bandes pour leur attacher leur pantalon.
A cette période, il y avait aussi le pécule.
Les patients au long cours qui étaient en capacité de repasser, trier laver le linge, étaient payés, un salaire dérisoire. Ça avait quelque chose d’assez pervers.
C’était un peu «la petite manœuvre facile» même si, d’un autre côté, cela permettait à ces personnes de sortir de leurs unités et d’être reconnues dans leurs compétences.


Je me souviens, lorsque je suis arrivée en service fermé avec des patients chroniques, le premier jour où je les ai vus, je me suis dit: «Comme ils sont cabossés, abîmés par la vie, qu’est-ce que je pourrai faire avec eux ?» Je me vois encore pleurer dans la voiture sur le retour, entre l’hôpital et la maison.
Je me disais : «Ça ne sera vraiment pas simple.» 

Et puis tu rencontres vite une personne, tu fais avec ce qu’elle peut, tu trouves d’autres moyens d’être en relation, de rendre sa vie plus belle.
Puis en fait, ça fonctionne, si tu vois toujours l’autre comme étant un.e humain.e qui partage beaucoup de valeurs identiques aux tiennes.
Qui a avant tout envie qu’on l’enquiquine pas, qui a envie d’être libre, de faire des choses qui l’intéressent.


Tu sais tous ces gens là, on n’allait pas les guérir, le but c’était avant tout de passer suffisamment de bon temps avec eux pour qu’iels se sentent apaisé·es.



Dans le soin, on travaille avec sa personne, ses failles, ses richesses, ses propres expériences, individuelles, familiales, sociétales, ses sensibilités.
Tout cet aspect ne me paraît pas suffisamment travaillé et conscientisé en équipe.
Je pense qu’il y a aussi un réel manque d’envie en psy adulte.
On a une sorte de paresse intellectuelle pour réfléchir le soin autrement. Alors les règles strictes, ça peut remplir cette case. Quand on a un protocole fixe, on sait quoi faire.


Ces histoires d’enfermement, on nous dit que c’est thérapeutique, pour moi, c’est un échec relationnel, comme une fessée à un gosse.
Personne ne ressort de là en disant: «ça m’a fait réfléchir, ça m’a fait du bien.»

Sans sédatif ça serait insupportable d’être attaché alors iels sont complètements médiqué·es pour dormir tout le temps de la contention.
On leur subtilise des heures de vie parce qu’on ne sait pas gérer leur violence.
Parfois c’est sûr aussi qu’on ne sait pas faire autrement face à une colère immense. On n’a pas appris.


Au fil des années, j’ai été choquée par ces formations qu’on nous proposait pour faire face à la violence des personnes hospitalisé·es.
On nous y apprenait surtout des techniques de bagarre, savoir se défendre.
La tendance immédiate c’est «action réaction» on nous apprend à vite «maîtriser la bête» en quelque sorte.
Au lieu de ça j’aurais voulu qu’on nous apprenne à la déjouer, cette violence, à comprendre d’où elle vient et faire qu’elle n’aie pas lieu.


J’aurais voulu plus de formation sur la description des pathologies, sur la conduite à tenir, sur le savoir-faire relationnel, la façon de dire, de se tenir.
Contentionner quelqu’un, j’ai très souvent ressenti l’idée que c’était sortir de la dignité humaine.


Ç’est arrivé de temps en temps,qu’on apprenne que des ados qu’on a connus soient condamnés.
Y. par exemple, Il est arrivé, il avait 9 ans, jusqu’à ses 18 ans, sa vie c’était surtout l’hôpital.
Il n’a connu rien d’autre que la contrainte collective, donc d’une certaine façon, la prison il s’y retrouve peut être, c’est du familier.
C’est terrible de se dire ça...


En psychiatrie, c’est aussi vite fait, je pense, de faire preuve d’excès de pouvoir. Il faut être vigilant à ça.
Une porte de chambre, tu peux choisir de la laisser fermée, tu peux alors avoir ce plaisir à décider.
Dans les services fermés celui qui a les clés c’est celui qui a le pouvoir.
Il faudrait aider les soignants à prendre conscience des relations de domination, de mépris ou de discriminations, leur permettre d’avoir un regard critique sur leur fonctionnement.


La plupart du temps, on tutoyait les patients.
Ça, ça enlève déjà une barrière de respect de l’autre.
C’est être dans une forme de relation tordue, quelque chose qui n’est pas à sa place.
De ce que j’ai vu, les positions hautes, les patient·es cela les faisait monter totalement.
Je me souviens d’une collègue qui avait insisté pour que D. prenne absolument sa douche.
Puis c’était pas le moment pour lui, on aurait dû l’accepter, le laisser être un peu sale.
Mais elle avait insisté et il avait explosé. Ce genre de situation aurait pu être évité.
On peut être, sans en avoir conscience, d’une grande violence avec l’autre.
Dans tous les rapports humains, c’est vrai, mais en psy encore plus car quand même, il y a celui qui est d’un côté et celui qui est de l’autre. Celui qui a les clés et celui qui ne les a pas.


Je crois qu’on sous estime aussi la violence de l’institution sur les patient.es.
Elle s’exerce notamment dans le rythme qu’on les oblige à avoir, les heures de sorties, dans les lieux aussi : les gens y habitent toutes leurs vies et c’est rarement chaleureux.


Après avoir quitté le service adultes où je travaillais, j’y suis retournée et au mur, il y avait toujours les peintures que j’avais faites avec les patient.es, dix ans auparavant. La psychiatrie c’est aussi malheureusement un lieu d’errance et d’ennui.



Moi, j’ai adoré travailler sur la liberté et la responsabilité.
Parfois quand je voulais sortir avec un ou une ado, les collègues me dissuadaient, avaient peur de la fugue.
Pourtant je crois que la grande nécessité c’était justement de les sortir,

alors je disais: «On sort mais si tu veux te sauver, je ne te cours pas après. Ça n’aurait aucune allure que je te poursuive, du haut de mes 50 ans! Si tu pars c’est que tu as tes bonnes raisons. Je te demande de ne pas le faire, mais tu choisis.»
Ca marchait très bien, cela restituait une relation de confiance.
Prendre soin de quelqu’un·e, c’est l’emmener vers son émancipation, vers d’avantage de liberté d’être, d’agir, de dire. C’est l’emmener vers son autonomie.
C’est aussi arrivé que j’emmène des patient·es adultes à la maison, pour faire de la luge, prendre le goûter,...


Les hospitalisés, pendant des années ils étaient dans de l’anti-vie.
J’avais envie de leur ouvrir la porte, leur montrer que c’était des personnes qui étaient aussi acceptables dans une maison. Des semblables que j’ai plaisir à accueillir, leur redonner cette densité de vie là.


Les nouveaux infirmiers nous disaient qu’on leur apprenait d’abord la distance relationnelle.
J’ai toujours pensé qu’un majorité des personnes qui étaient là souffraient pourtant de ce manque de contact et de chaleur humaine. Le soin est un humanisme.


Il y en a qui sont hospitalisés si longtemps et personne ne touche leur corps, si ce n’est pour les laver ou pour les soigner si ils se font mal.
Mais tous ces gens, toutes ces années, qui leur a offert du bon au niveau corporel ?

J’avais proposé de faire des massages, on m’avait dit que ça pourrait réveiller des pulsions chez eux.
Pourquoi imaginer aussitôt que les choses tournent mal ?
On manque trop souvent de souplesse dans la prise en charge. On anticipe trop en négatif.
L’aspect créatif dans la relation thérapeutique ne me paraît pas suffisamment valorisé dans le soin.
Il faudrait soigner l’hôpital pour bien soigner les malades.
Apprendre très tôt qu’au delà des maladies, il y a «des personnes qui tombent malades» et qui ont besoin d’être reconnues comme des personnes ayant des compétences à se soigner, en lien avec du personnel attentionné.


Malgré tout, c’est un métier qui m’a passionnée, c’est une véritable chance d’être témoin du cheminement de chacun·e.
Je crois que c’est très rare que je n’aie pas nourri d’espoir.


Ces relations, c’est en quelque sorte plein de petits deuils. C’est difficile de mettre des noms sur ces liens, mais ce sont des gens qui ont compté.»

Florie, Psychiatre
Florie a travaillé dans plusieurs services de psychiatrie
adulte puis s’est spécialisée en pédopsychiatrie.
«A la base, je voulais soit être sage-femme, soit travailler en ferronnerie.
J’ai ressenti, dès le début de mes études qu’on m’imposait une autorité sans sens.
Je me suis alors dit que même si je ne recherchais pas le pouvoir, je ne pouvais pas le subir.
Je me suis rapidement rendue compte que ce qui m’intéressait, c’était bien plus de discuter avec les gens que de les ausculter alors je me suis tournée vers la psychiatrie.
Ensuite, en découvrant tous les médicaments psychotropes et leurs effets secondaires j’ai opté pour la pédopsychiatrie car il y a un minimum de traitements.
J’ai trouvé ma formation trop partielle, très tournée vers les traitements médicamenteux à proposer pour chaque trouble psychique. Si on s’arrête à ce cursus sans se former à d’autres approches de psychothérapie, je crois qu’on est très peu capables d’aider les patient·es sans se servir de la béquille des médicaments.


J’ai presque uniquement travaillé dans le public.
Le public n’est plus ce qu’il était, c’est sûr. Il y a dix ans, dans la France entière il y avait deux fois plus de pédopsychiatres, par exemple.
Quand j’étais encore interne, dans le service où mon mari travaille actuellement, on était un interne, deux assistants et deux médecins donc, en tout, 5 personnes.
En l’espace de tout juste 5 ans, il ne reste plus qu’un interne et deux médecins.


Tous les ans, chaque hôpital doit fournir un plan prévisionnel des dépenses.
J’avais assisté à une réunion de présentation de ce plan pour l’hôpital dans lequel je travaillais.
Il y était écrit qu’ils comptaient réduire le budget en se concentrant uniquement sur la réduction de personnel, non sur le matériel.
C’était annoncé noir sur blanc qu’ils comptaient sur «la vacance des postes» et sur le non renouvellement des gens qui partaient en retraite.


Beaucoup de psychiatres admettent sur-médiquer car iels ne peuvent pas être très présent·es dans leurs services.
En tant qu’interne, je m’étais opposée à un psychiatre qu’on appelait :«le cowboy des neuroleptiques».
Il prescrivait de si lourds traitements que dans son service, les gens étaient tout figé·es, la bave aux lèvres, complètement assommé·es.


Il m’avait dit qu’il sur-prescrivait parce qu’il ne pouvait être dans le service que très peu de demi-journées par semaine et que personne n’était là pour le remplacer.
Il fallait donc que les patient·es soient sages pour que les infirmiers, déjà en sous nombre puissent s’occuper d’eux sans soucis.


Il existe aussi une pression des laboratoires pharmaceutiques.
Lorsqu’on est internes, ils nous invitent par exemple dans des restaurants de luxe, en échange d’une présentation de leurs traitements, dans laquelle ils ne parlent presque pas des effets secondaires.
Ce sont des pratiques fourbes qui nous rendent redevables.


Dans tous les services où le personnel est limité, la fréquence des contentions augmente également.
Devoir prescrire l’isolement m’est arrivé plusieurs fois.
Dans certains cas de figure, cela me semblait vraiment bénéfique, comme pour des personnes qui ont une maladie bipolaire et sont parfois si agité.es qu’iels ne peuvent pas dormir depuis des jours.
On sait que plus ces personnes manquent de sommeil, plus l’épisode délirant s’amplifie, dans ces cas-là, l’isolement avec un traitement est utile pour ne pas les laisser dans cette immense agitation interne. J’ai déja vu des gens qui demandaient d’eux mêmes ces mesures.
Cela peut être des personnes ayant vécu des troubles de l’attachement ou des relations très peu sécurisantes dans leur vie.
Une fois en chambre d’isolement, d’une certaine manière, ça les sécurise puis on passe les voir plus régulièrement, on s’occupe plus d’eux.


J’ai lu une dizaine de questionnaires qui avaient été remplis par des patients sortant d’isolement, la majorité disaient néanmoins l’avoir vécu avec énormément d’anxiété, d’incompréhension, beaucoup de colère. Dans deux tiers des mesures de contentions que j’ai dû réévaluer, j’ai été très choquée du déclenchement.
Je me souviens d’une adolescente de 14 ans, j’allais souvent dans le bureau de mon chef pour en discuter et m’opposer à ces mesures qu’on me forcait à prendre.
On me forcait à lui prescrire une contention.
Elle était impulsive, pouvait castagner un peu. Mais chaque fois qu’elle insultait un·e infirmier·e par exemple, elle était contentionnée en punition, avec une rigueur extrême.
C’était jour et nuit, en la détachant un quart d’heure le premier jour, une demi-heure le second, 45 minutes le troisième.
Cela pouvait durer plus d’une semaine.
C’est arrivé qu’on me reproche d’avoir prescrit des lunettes à des personnes en isolement, de peur qu’iels se scarifient en brisant les verres, alors que les gens voulaient simplement pouvoir lire, puisque rien n’était autorisé dans cette chambre pendant 24 heures.
On m’avait aussi réprimandée parce que je les avais laissés garder leurs propres habits au lieu du pyjama d’hôpital, ouvert derrière qui me semblait vraiment moins respectueux.


L’état essaye de rendre de plus en plus dissuasif et difficile le recours à l’isolement, en t’obligeant à remplir énormement de paperasse par exemple, mais ils ne te donnent pas les moyens humains de faire autrement.
C’est comme si on considérait qu’on avait recours à ces méthodes par plaisir pervers, ça nous stigmatise comme si c’était à nous de changer nos pratiques.


Il faudrait qu’il y ait un membre de l’équipe présent toute la journée auprès de la personne en crise pour la canaliser, l’occuper. Ce n’est jamais posssible alors que c’est le seul moyen de réduire ces mesures.
Ces derniers temps il y a eu plusieurs lettres ouvertes au gouvernement, de la part de groupes de soignants, par rapport à l’état de plus en plus préoccupant de la psychiatrie.


C’est aussi parfois la société, qui nous demande des choses aberrantes, comme récemment, le préfet d’Alsace qui a demandé aux médecins psychiatres des hôpitaux de la région, de certifier, pour les cas des patients en hospitalisation sous contrainte, qu’il n’y avait «aucun risque de dangerosité».
Ce à quoi on a répondu que nous ne le ferions pas puisque ce n’était ni possible ni légal.


Récemment, j’ai vécu quelques jours d’effroi, très préoccupée parce que je sentais que je n‘avais plus d’espace possible, je ne retenais plus rien. Systématiquement je retournais dans les dossiers, je ne me souvenais plus de ce dont on avait parlé, qui étaient les personnes.
Actuellement, je suis en charge de 298 enfants.


Je passe des journées parfois très surchargées; en plus de mes consultations, je dois souvent faire d’autres démarches, auprès des magistrats par exemple. Il s’agit de signalements lorsque je constate des maltraitances.
Ce sont des situations très engageantes à vivre. Dans quelles mesures on peut accompagner des parents à devenir de meilleurs parents ou dans quelles mesures on considère que c’est perdu d’avance et on décide de placer l’enfant.
Par moment je me dis que ça aurait été bien plus serein si j’etais devenue feronnière ou ébéniste, c’est vrai.
En pédopsychiatrie, on n’est pas soumis aux mêmes contraintes qu’en psy adulte; les difficultés des enfants évoluent plus vite, il y a bien moins de chronicité.
Pourtant on est aussi en flux tendu, d’autant plus avec le covid où nous avons dû doubler nos listes d’attente.
Avant, il y avait deux mois d’attente pour une première consultation, maintenant c’est plutot 4.
On ne peut donc plus recevoir certaines urgences, c’est un véritable problème.


Pour pratiquer mieux notre métier, j’aimerais qu’on puisse voir les gens dans des conditions correctes, allonger le temps des consultations.
Dans certains services de psy adulte, les consultations durent au maximum un quart d’heure.


Il faudrait aussi une diminution du ratio personnel soignant et administratif.
A budget constant, les soins seraient déjà de meilleure qualité.
Plus d’horizontalité changerait aussi beaucoup les choses, considérer enfin que les aides soignant·es sont tout autant thérapeutiques que les psychiatres, par exemple.
Il faudrait bien plus de formations libres et du temps pour s’informer sur les traitements.
Que les choses soient moins glaciales, moins protocolaires.»



Perrine, Infirmière
Perrine a travaillé en tant qu’infirmière en service adulte d’admission et
de patient·es hospitalisé·es au long cours et travaille aujourd’hui dans
un service d’accompagnement médico-social pour adultes handicapé·es
«Moi, j’aimais l’idée que la psychiatrie est un domaine où plein de choses sont encore mouvantes, à découvrir. C’est quelque chose qui m’intéressait énormément.
Je trouve qu’on a été très mal formé·es, à l’école.
Il y avait une vision très figée, de la psy.
On nous disait par exemple: « un schizophrène est délirant, le but c’est qu’il ne le soit plus. »
On nous expliquait alors comment faire taire leurs voix par des traitements.
Cela convient à certaines personnes, mais d’autres ont besoin de ces voix pour vivre.
On ne nous disait pas qu’on peut aussi apprendre à les apprivoiser, à aider les gens à vivre mieux avec ce qu’ils sont, sans chercher à tout prix à les rendre «le moins bizarre possible.»
Ces études nous ont surtout appris les médicaments, en fait.


On continue aussi beaucoup à véhiculer l’idée du malade psy «fou dangereux», c’est très discriminatoire et dans les services, les soignant· es s’imaginent être sans arrêt en danger.
Il ne faut alors surtout pas «se faire bouffer» et si quelqu’un déborde, c’est qu’il «provoque».
Pourtant c’est presque jamais contre toi que ça se joue, la personne a déjà bien assez à vivre dans sa tête pour pouvoir se soucier de ce que toi tu en penses.


Il y a encore beaucoup de gens dans les équipes qui considèrent que la bonne psychiatrie, c’est la psychiatrie qui cadre.
Alors on ne t’intimidera pas mais on ne t’aidera pas non plus à réaliser tes projets, on ne t’en donnera souvent ni le temps ni les moyens.


A l’hôpital, j’ai régulièrement dû contentionner des gens, immobiliser au sol, contre les murs. C’est très dur de savoir si c’est évitable ou non.
Parfois je n’avais pas d’autres solutions en tête mais je m’y connais finalement assez peu là-dedans.
Je pense que s’il y avait plus de moyens humains, il n’y aurait pas besoin de ça.
Très souvent, on a contentionné parce qu’on n’arrivait pas à gérer les 14 autres patients en plus de celui qui était tellement délirant qu’il était tout morcellé.
A mon arrivée, on était 4 infirmiers pour 16 patients.
Maintenant, ils sont plutôt 2.


C’est pour moi incompréhensible que ce soit les mêmes personnes qui contentionnent les gens et qui les soignent ensuite.
Un jour, tu prives quelqu’un de sa liberté et le lendemain tu lui dis: « prenez soin de vous », ça a quelque chose de malsain.


Au travail, ça m’était aussi insupportable de voir que dès qu’il y avait une situation d’urgence ou de danger, les soignantes faisaient appel aux hommes, pour contentionner ou mettre en chambre d’apaisement.


Je ne vois pas en quoi un homme gère mieux une situation de violence qu’une femme, à vrai dire, je suis même assez persuadée du contraire.
Dans ces situations, tout devient une histoire de corps tendus où plus rien d’autre ne répond.
Alors envoyer 6 hommes ou bien une équipe mixte par exemple, ça symbolise tout de suite des choses différentes.

La contention, c’est très protocolisé.
Cela ne peut pas se faire sans prescription d’un médecin puis, toutes le 24 heures, ça doit être réévalué par un·e psychiatre différent·e.
Le juge des libertés est aussi toujours alerté.



Il faut tenter de faire beaucoup de choses avant : changements de traitements, sorties, rendez-vous en groupe, seul,...
Cela doit être la méthode de dernier recours, quand on n’a plus d’autres solutions en main.


Il y eu un moment où j’avais accumulé un peu les violences.
J’avais reçu des claques, une morsure quelqu’un·e m’avait tiré les cheveux,...
Je m’étais persuadée que c’était ma faute.
Ma cadre m’avait dit que j’étais parfois trop proche des personnes soignées, que les gens savaient que «je n’allais pas rendre» alors ça pouvait déclencher des choses.
Pourtant, c’est pour moi important de me sentir touchée par les gens pour être aidante.
Quelque fois, je pleure en entretien.
Je me dis maintenant que c’est peut être mieux que d’avoir quelqu’un de froid en face de soi.
Un jour, une jeune patiente avait pété les plombs, quand j’étais seule avec elle dans la salle de soins.
Elle s’était mise à donner des coups dans les murs, ses mains saignaient, j’avais senti que je perdais le contrôle.
De me sentir si désarmée, j’avais fondu en larmes.
D’un coup sec, elle s’était arrêtée et était redevenue calme. Elle m’avait dit: «Perrine, il va falloir vous endurcir si vous voulez continuer ce métier.»
Finalement cette faiblesse que j’avais montrée a été efficace.


Un jour elle était revenue en hospitalisation et m’avait offert une page, sur laquelle il y avait écrit « échouer, c’est bien aussi. »
Mes collègues ont pensé que je m’étais laissée marcher dessus, moi j’ai trouvé que c’était hyper fort de vivre ça.


Le premier hôpital psy où j’ai travaillé descendait de la psychothérapie institutionnelle, mouvement né dans les années 60, qui revendique des hôpitaux plus ouverts.
Aujourd’hui ça ne marche plus trop mais il y a des restes comme la porte qui n’est jamais fermée. Les gens s’enfuient souvent, c’est parfois toléré, d’autres fois moins.
Mais jamais il n’a été remis en question de devoir enfermer tout le monde parce qu’il y a une personne à retenir.


Dans le second hôpital où j’ai pris mon poste, dans la forme des batiments, dans l’agencement, tu sens que tout est fait pour être cloisonné.
A mon premier jour là bas, on m’a remis les clés et puis on m’y a accroché un aimant de contention. On m’a dit « tu verras, t’en auras besoin. »
Là bas, on devait aussi porter une blouse, j’avais l’impression que ça ne servait à rien d’autre que persuader tout le monde que je n’étais pas folle. C’est un peu comme si tout le monde avait besoin que personne ne les confonde.


Les patient·es, lorsqu’iels attendaient leurs médicaments devaient s’asseoir par terre, dans le couloir. Quand j’ai demandé pourquoi ne pas leur mettre les chaises empilées dans la salle de soins, on m’a répondu: « t’imagines, s’ils nous les jettent dans la gueule ?»


Oui, il y a eu des moments où je me suis sentie obligée de faire des choses douloureuses pour moi. Il y a une histoire qui m’a marquée.
C’etait une très vieille dame qui vivait seule dans un village.
Elle était juste un peu étrange, à côté de la norme.
Elle vivait avec beaucoup de chats, avait de la moustache et passait sa vie à aller faire du vélo, jour et nuit, en plein milieu de la route.
Elle allait dans les cimetières, prenait des fleurs à ceux qui en avaient trop pour les mettre à ceux qui n’en avaient pas assez.
Sa sœur voulait récupérer sa maison. Celle-ci était amie avec la mairesse du village et l’infirmière.
Toutes les deux ont donc signé une mesure de contrainte pour faire interner la vieille dame.
Lorsqu’elle est arrivée dans notre service, la médecin de garde a décidé de maintenir la mesure de contrainte.
Elle a dit à la femme que si elle ne se rasait pas la barbe le lendemain, elle irait en chambre d’apaisement.
Avec l’équipe, on s’est opposé à la position du médecin, mais elle avait l’autorité de décision.
Je me demande comment on peut avoir un pouvoir pareil sur quelqu’un qui ne gêne personne, qui est simplement marginal ?
Je ne crois plus en l’hôpital comme il existe aujourd’hui mais cette psychiatrie dans laquelle je travaille aujourd’hui, hors des murs, qui part des ressources et des projets de vie de chacun et accompagne les gens dans leur vie comme ils l’entendent, ça me donne beaucoup d’espoir.



Il faut aussi accepter la lenteur, se dire que c’est des tout petits pas, mais des pas quand même.
Il y a énormément de structures qui se créent, semblables à cela, parfois nées des réflexions actuelles autour du lien entre précarité et psychiatrie.


Comme l’association «un chez soi d’abord», qui part du principe de trouver aux personnes sans-abri, un logement le plus proche possible de leurs envies.
Ils aident la personne à s’installer et les seules attentes c’est de la voir une fois par semaine, même si c’est juste sur le pas de sa porte.
Le but c’est de les réinscrire dans la societé, les aider à retoucher les alloc’, par exemple, à être régularisés. Souvent ce sont des gens qui sont passés entre les gouttes de tout, qui étaient jugés irrécupérables par les structures classiques.
J’ai vraiment confiance en tout ça, je crois, oui.


Dans ce travail, je côtoie des gens qui ont une histoire de vie traumatique, des enfants incestés, des femmes violées, battues, des gens placés.
La précarité accentue encore tout ça, crée des entrées plus faciles dans des addictions.
Tout cela forme des schémas qui se répètent.


C’est important de voir que les gens qui vivent ça peuvent finir cassés ainsi.
Malgré tout, cela n’en fait pas des victimes pour le reste de leur vie, mais c’est une réalité qu’il faut surtout ne pas fantasmer.


Je ne me sens pas plus blindée que n’importe qui d’autre, j’ai seulement l’impression d’accéder à une vérité qui n’est pas visible pour tout le monde.


Un de mes beaux souvenirs de psychiatrie, c’était les manifestations contre les suppressions de postes d’aides soignant·es à l’hôpital, en 2018.
On faisait des activités thérapeutiques «peintures de banderoles», avec les patient.es, en déchirant des grands draps d’hopitaux.
Les patient·es disaient : «vous êtes sûrs qu’on doit prendre tout ça ?»
On répondait : Mais oui! Allez-y, c’est le moment où il va falloir écrire très gros, prendre vraiment toute la place!
Même dans le soin, je trouvais que cela faisait sens, finalement.
Puis on défilait dans les rues, en tapant sur des tambours, en criant, en faisant plein de bruit.
J’avais un patient d’un côté, mon cadre de l’autre, c’était des moments trop beaux et importants.


A l’hôpital, tout était plus dur et plus intense aussi.
Dans les situations auxquelles on faisait face, dans le rythme.
On était, je pense, plus à fleur de peau encore, ça créait une grosse envie de se battre, on se sentait légitime. On y croyait vraiment, à ce qu’on faisait là-bas.»