Ce parcours dans la région Métropolitaine (Chili) sur le thème de l’eau permet de découvrir 52 peintures murales, une dans chaque commune de la région, pour réfléchir par l’art à cet élément vital pour le territoire et l’existence humaine. Confluencia prend l’eau comme thème central, permettant d’ouvrir le dialogue sur son importance dans la région, qui, confrontée à une grande pénurie d’eau, a besoin de nouveaux formats pour sa visibilité. Par la même occasion, le projet met en évidence le potentiel des fresques murales comme outils participatifs de médiation et de sensibilisation.
Le projet est une initiative de Metro21, une organisation spécialisée dans le développement de projets culturels dans l’espace public, il a été financé par le Conseil régional. L’initiative réunit des muralistes, des collectifs et des habitants de la région, auteurs des histoires sur l’importance de l’eau qui ont inspiré chaque œuvre, ainsi que les municipalités et les habitants pour chaque fresque, qui ont participé au choix des esquisses, à des journées de peinture collective, à des discussions et à diverses activités de médiation en fonction des besoins et des intérêts de chaque territoire.
Les histoires ont été écrites par des habitants de chaque commune de la région, à la suite d’un appel à candidatures, un texte par commune a été sélectionné. À travers les souvenirs, les imaginaires et les revendications sociales, ces textes reflètent l’importance de l’eau et la nécessité de réfléchir aux enjeux actuels qui y sont liés.
De la même façon, 52 muralistes ont été sélectionnés. Chaque artiste a travaillé dans la commune avec laquelle il avait le plus de liens, participant à diverses activités avec les habitants, les organisations sociales et les municipalités. En tenant compte du contexte et des caractéristiques de chaque lieu, ainsi que de l’histoire écrite pour chaque commune, ils ont développé leurs œuvres également à partir de leur propre imaginaire. « Au cours de ce circuit, nous pourrons parcourir l’histoire actuelle du muralisme chilien et de ses protagonistes, tout en nous rendant dans les 52 communes de la région, à la rencontre des perceptions et des souvenirs que les habitants ont d’une question d’urgence planétaire : l’eau en tant qu’élément essentiel. » Josefina Andreu Urzua, directrice de Metro21.
Les murs peints au Chili sont une forme d’art particulièrement importante et vivante, ce projet naît dans ce contexte. Les murs parlent, transmettent des revendications, idées, rêves, postures politiques, rappels de problématiques, critiques, ironiques et par l’humour ou pas, mises en valeur de personnages ou de messages, registres de moments importants… Ce sont des supports d’information très présents dans les villes et très en contact avec les spectateurs-passants-habitants. Aujourd’hui, la ville de Santiago est reconnue comme l’une des capitales mondiales du muralisme.
« Le muralisme au Chili a une longue trajectoire en tant que vecteur de réactivation de la vie en commun. À travers la créativité, cette pratique répare les liens sociaux, encourage la collaboration, renforce le sentiment d’appartenance et projette collectivement une image qui transmet les désirs, les rêves et les préoccupations d’une communauté. Elle occupe l’espace commun et implique de multiples acteurs dans sa réalisation, et dans sa dynamique de création, d’émission et de réception, elle articule et soutient un futur collectif. » Josefina Andreu Urzua
Pour promouvoir la participation active et l’investissement des habitants, sensibiliser autour du sujet, et se réapproprier les espaces, ce moyen semble sans aucun doute être l’un des plus cohérents. Cette forme d’art, éphémère et changeante, reflète le quotidien réel, complexe et nuancé, et donne lieu à des interactions avec les spectateurs beaucoup plus décloisonnées et décomplexées que dans les musées. Confluencia répond ainsi à l’aspiration de récupération d’espaces publics pour les citoyens, à travers la culture et l’art.
Le choix de faire un parcours incluant chacune des communes a aussi une grande importance symbolique et va dans le sens de la réflexion collective. Santiago est une ville assez fragmentée, qui n’invite pas les habitants à circuler en dehors de leurs trajets habituels. Il existe des inégalités frappantes entre les différents quartiers, que ce soit dans l’accès à des espaces publics agréables, vivants, à l’investissement dans l’embellissement, dans les activités culturelles et de participation citoyenne. Ou encore, par rapport au sujet central du parcours, la qualité de l’eau potable change d’une commune à l’autre, ainsi que la fréquence et durée des coupures d’eau, l’accès aux services de maintenance, de même que la surface d’espaces arides et d’espaces verts contraste réellement entre les communes. Le parcours peut être une invitation aux habitants de chaque quartier à réfléchir à des problématiques locales, mais aussi à se pencher sur la question de façon plus large en faisant le circuit, et à échanger sur d’autres enjeux par rapport à la ville en soi.
Le projet a été construit sur la base de la participation des citoyens. Il a débuté par un appel aux habitants de la commune qui souhaitaient écrire des histoires pour générer une mosaïque de récits et de messages qui inspiraient les peintures murales, afin d’entrelacer le travail des artistes et les sentiments des citoyens et vice-versa.
La sélection des murs à intervenir a été faite avec l’objectif qu’il s’agisse de façades représentatives du territoire spécifique et qu’ils garantissent la visibilité et le sentiment d’appartenance. Ce choix s’est fait en dialogue actif avec les municipalités et a été ponctué par des moments de rencontre avec les habitants et les artistes, au cours desquels il a été possible de réfléchir à l’expérience particulière de chaque communauté en relation avec l’eau, ainsi qu’au rôle de l’art dans la création d’espaces de dialogue et de visibilité autour des questions qui nous concernent tous et toutes.
Dans les différentes communes, un travail de médiation a été réalisé pour présenter le projet, l’artiste et l’histoire de chaque peinture murale, à partir desquels les habitants ont sélectionné l’esquisse finale. Tout au long du processus, une série d’activités ont spontanément émergé et se sont ajoutées à l’initiative originale, telles que des ateliers et des journées de peinture collective.
Pour compléter cette exposition en plein air, des plaques ont été installées à côté de chaque peinture murale avec des informations générales et un QR code permettant d’accéder au contexte du contenu et de l’auteur. Un mini-documentaire a été réalisé sur le projet et une visite numérique a été conçue et mise à disposition sur le site web de Metro 21 pour suivre le parcours.
La grande diversité de propositions ne permet pas de toutes les citer, mais quelques-unes des plus marquantes sont le mur peint de Recoleta, qui reprend la signification du nom préhispanique du territoire, celui de Cerro Navia qui représente le quotidien des journées d’été et la chaleur dans la ville en contraste avec la fraîcheur de l’eau, ou celui de Quinta Normal, qui s’inspire de la déesse de toutes les eaux de la mythologie inca, dans le contexte de sécheresse. L’artiste de Lo Prado représente la pluie comme un élément fugace présent de manière ponctuelle dans notre vie quotidienne. Le mural de La Granja est une scène dans un environnement harmonieux qui se change peu à peu en dystopie et déséquilibre du fait du réchauffement climatique, celui de Macul représente une catastrophe naturelle, la grande inondation qui s’est produite dans la zone en 1993. Le mur peint de Lampa souligne l’importance de la zone humide présente dans le territoire abritant une riche diversité d’espèces endémiques, celui de Renca s’inspire du nom qu’on donne à l’odeur qui se produit quand la pluie tombe sur les sols secs et celui de San Pedro, commune qui a été touchée par des pénuries d’eau et des incendies de forêt, représente l’affrontement entre l’eau et le feu. Le mur peint d’Alhué parle de soins, faisant le parallèle entre le rôle historique que les femmes ont joué dans les soins aux personnes et dans le soin à l’environnement, dans l’éducation, la transmission et la conservation. Celui d’El Monte évoque la nature imposante et indomptable de l’eau, qu’il est impossible de retenir et d’enfermer, celui de Calera de Tango critique la privatisation de l’eau, ainsi que celui de Puente Alto qui montre l’extractivisme et la cupidité, le désir d’accumuler et l’exploitation de la nature.
Confluencia est une référence en termes de projets collaboratifs et participatifs. L’initiative est cohérente avec le contexte et le but presque plus dans le processus et la forme que dans le fond et dans le résultat fini. Ce projet montre la façon dont tout le potentiel du processus de planification et de création des œuvres est pensé dans un but d’échange, d’investissement et d’apprentissage à plusieurs niveaux. Le projet fonctionne, car toutes les parties impliquées sont valorisées et nécessaires, s’influencent et se nourrissent les unes les autres. Si le projet requiert différentes compétences et connaissances dans différents domaines, à aucun moment n’est présente l’idée de savoir à un seul versant. Le parcours met en valeur non seulement la scène artistique murale locale actuelle, mais aussi l’histoire de chacune des communes et de ses habitants.
Les visuels témoignent de tout un échange, du résultat d’actions et de réflexions et fonctionnent à la fois comme moteur qui initie, donne lieu, crée l’espace propice pour ces échanges, et comme trace qui reste à la fin.
La sensibilisation à une problématique importante gagne en richesse lorsque les habitants, ou personnes qu’on cherche à interpeller à travers le projet, sont impliqués tout au long du processus, plutôt qu’invités à découvrir un travail terminé comme simples spectateurs. Si cela demande plus de temps et beaucoup d’organisation, c’est un investissement qui confère tout son sens à l’initiative, qui fait vivre et fonctionner le projet et qui permet de créer un contexte d’échange où l’art devient un outil d’implication et de transformation collective.
Sources :
– Site Internet de Metro21
– Le catalogue du parcours en PDF
– Instagram de Metro21