Bavardages du béton

Image - Bavardages du béton
Réalisations Curiosités
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Ce projet est réalisé par les Trames Ordinaires. Il s’agit d’un collectif de deux graphistes indépendants. Gwendoline Dulat et Florent Vicente. Les deux créateurs vivent sur Strasbourg et sont installés dans un atelier mobile. C’est-à-dire que leur démarche de travail consiste à se déplacer au contact de population pour réaliser des projets de graphisme collaboratif et donc populaire. L’idée sous-jacente à leur démarche est qu’ils ne se positionnent pas comme des graphistes au service d’un client qui commande un visuel, mais au contraire comme les porte-parole d’une communauté, ils s’organisent comme vecteur de transmission de la parole d’une population donnée.

Le projet que nous allons étudier est une résidence organisée par Horizome. Horizome est un projet associatif, social, artistique, culturel, environnemental et politique, ancré sur le territoire de Hautepierre.
Hautepierre est un quartier périphérique de la ville de Strasbourg construit dans les années 1960. Il s’agit d’un quartier populaire, qui présente tous les aspects de ce que l’on nommerait une « banlieue ».
Le projet des Trames Ordinaires est mené en étroite collaboration avec les habitants, les acteurs associatifs locaux et les partenaires publics de la politique de la ville et de la culture par exemple, le projet « Bavardage du béton » a également été réalisé en collaboration avec le théâtre de Hautepierre, l’association Strasbourg Table et le pôle Culture et la ville de Strasbourg.

Ce projet a pour objectif de donner la parole des habitants sous forme de journaux muraux, placardés sur des murs de bâtiment du quartier. Il y a vraiment une volonté de la part du collectif Trame Ordinaire de se mettre au service de la population de Hautepierre dans l’idée de leur permettre de s’exprimer. C’est le savoir-faire du graphiste vecteur de la libre expression des habitants de Hautepierre. Envisagé de manière très poétique et onirique, ce journal mural tente de créer dans l’espace public un portrait des habitants de Hautepierre. Portrait qui se veut donc multiple et met en valeur la forte relation qui unit les Hautepierrois à leur quartier. Le budget alloué à ce projet s’élève à 4000 euros et il s’est déroulé sur 2 mois. Il couvre le salaire du collectif Trame Ordinaire ainsi que le matériel plastique utilisé.

Les Trames Ordinaires ont réalisé trois journaux muraux composés de photographies, de textes descriptifs, de poèmes, de citations, de chantiers et de dessins, ils témoignent du temps de construction.
Pour composer ces journaux, ils ont créé leur propre typographie, la Yum-Yum. Je trouve l’idée de créer une typographie spécialement pour un quartier très intéressant. En effet, la création d’une typographie coûte très cher, c’est un luxe que ne peuvent se payer que de grosses entreprises ou de gros acteurs culturels. Aussi prendre le temps de créer une typographie spécialement pour l’esthétique de projet, c’est une manière d’augmenter l’implication des habitants, dans le sens où ils vont sentir qu’il y a une véritable personnalisation du projet, une volonté de produire un contenu unique pour leur quartier. Cette idée contribue à les individualiser dans le sens les faire exister en tant qu’habitant de Haute-Pierre.

La typographie va s’implanter sous différente échelle dans le projet, elle devient parfois même un module qui va structurer le visuel. Elle apparaît parfois en défonce, parfois en négatif sur des rectangles de couleurs vives, ce qui permet de créer du rythme dans le rendu graphique et de rendre le contenu dynamique.

Pour le contenu iconographique, le collectif Trame ordinaire a utilisé des photographies prises dans le quartier de Hautepierre, souvent traitées en bichromie de couleurs vives.
En parallèle les visuels se construisent autour de modules qui ont été réalisés par les habitants avec des pochoirs et peints à la main, encore une fois avec des couleurs vives. Ces modules permettent d’impliquer les habitants de Hautepierre dans l’élaboration du projet de manière simple et intuitive. En effet les modules sont des formes simples qui sont faciles à réaliser et ont cependant une importance fondamentale dans la réalisation graphique des journaux muraux.

Les couleurs très vives, jaune, rouge, bleu, et primaires permettent de donner de l’énergie et du dynamisme au visuel des différents journaux, on associe ces couleurs et l’énergie qu’elles dégagent au quartier de Hautepierre.

Pour réaliser le contenu textuel le collectif Trame Ordinaire a développé deux dispositifs.
Ouvrant la possibilité de s’adresser directement à leur quartier, cinq lignes téléphoniques au nom de Brigitte, Catherine, Éléonore, Jaqueline et Karine ont été mises en place. Une cabine téléphonique mobile a également été construite et s’est déplacée dans l’espace public. Les habitants du quartier pouvaient appeler aux numéros et s’exprimer. Je trouve ce protocole très intéressant, car il permet aux gens de parler de manière libre, et sans que leur parole soit orientée, dans le sens où le téléphone ne pose pas de questions, les habitants du quartier sont libres de développer sur ce qui les touche personnellement, on voit que ce processus produit un résultat assez abstrait, à la limite de l’absurde. Je pense que le téléphone n’est pas l’outil privilégié pour une collecte d’information, il permet de désinhiber les gens. Les enregistrements qui ont été faits via ces cabines téléphoniques improvisées ont été publiés sur Soundcloud. SoundCloud est une plate-forme de distribution audio en ligne sur laquelle les utilisateurs peuvent collaborer ainsi que promouvoir et distribuer leurs projets musicaux on peut donc se rendre compte du résultat de cette approche de la collecte d’information.

(Cliquez sur le lien ci-dessous pour retrouver l’ensemble des témoignages.)
Les trames.

À partir des témoignages récoltés au cours des appels, les Trames Ordinaires ont pu réaliser le contenu textuel de leur journal mural.

Pour réaliser le contenu textuel des journaux muraux, les Trames Ordinaires se sont également inspirées du groupe Facebook « T’es originaire de Hautepierre si ». En effet ces groupes Facebook recensent des centaines d’anecdotes sur le quartier et son histoire, aussi c’est une source de documentation de choix créée par les habitants eux-mêmes. En parallèle de cette collecte virtuelle de contenu, deux ateliers d’écriture ont été menés auprès d’enfants, puis un appel à participation a été lancé sur internet pour récolter des textes. Ainsi à partir de toutes ces informations, le collectif Trames Ordinaires a pu commencer la réalisation des journaux muraux.

Ayant choisi une place centrale pour réaliser le journal — en face du Auchan — c’est également pendant le temps de réalisation que de nombreuses personnes sont venues lire les phrases et en proposer de nouvelles.

Nous avons donc analysé le contenu iconographique et le contenu textuel du projet, il ne reste plus qu’à parler de sa réalisation finale. Les journaux ont été imprimés sur du papier Lana 80 grammes format A3 et se sont les habitants du quartier qui ont composé les différents journaux. Cette étape est importante, car elle permet encore une fois d’impliquer les habitants dans le processus de création. En effet les différents formats A3 qui forment le journal sont interchangeables et permettent aux habitants de créer leur propre puzzle, le journal mural obtenu est donc unique.

Pour conclure ce projet, c’est la mise au service de la population du quartier de Hautepierre des savoir-faire de l’équipe des Trames Ordinaires dans l’idée de créer un journal qui raconte l’histoire de Hautepierre par ces habitants et pour ces habitants.