Savez-vous braquer les banques ?

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« Donc j’ai transvasé le contenu du fourgon dans le coffre de la banque […], j’ai ouvert la banque, forcément j’avais les clefs, j’ai vidé le coffre et une troisième personne est venue récupérer tout le magot. »
François Troukens, Les Braqueurs, épisode 2

Un soir vous vous apprêtez à vous coucher, quand soudain une pensée vous traverse l’esprit : il vous faut plus d’argent. Et pas qu’un peu, assez d’argent pour acheter une Ferrari, dans laquelle vous irez flamber vos billets au casino puis que vous laisserez à un groom pour aller dormir du sommeil du juste dans le lit king size d’une suite impériale. Mais vous avez un problème : où trouver l’argent ? Braquer une banque, dévaliser une bijouterie, attaquer un fourgon blindé, hors de question ? Pas si sûr…

Arte Radio, à travers cette série de onze podcasts d’une quinzaine de minutes environ, nous propose d’écouter trois grands braqueurs, François Troukens, Miki et Tito, nous conter l’histoire de leur vie, façonnée par leur dangereux métier.

Étant donné le format de podcast audio, les voix sont nos seules guides à travers les histoires rocambolesques de nos braqueurs. Elles sont claires, assurées, les braqueurs semblent bien connaître leur texte : ont-ils rédigé avant ? Connaissaient-ils les questions qui leur seraient posées ? Nous ne le savons pas, mais nous oublions vite ces questionnements, nous laissant porter par l’histoire qui commence. Le monologue est roi, il n’est jamais entrecoupé de questions, un podcast est entièrement porté par une seule et même voix. La bande-son, par Samuel Hirsch, est discrète, se joint parfois au propos pour l’illustrer : une porte qui grince, une voiture passant au loin ou un oiseau qui pépie, mais la part belle est laissée à la tonalité singulière de chacun de nos braqueurs. Petit à petit, ces voix nous éloignent du monde réel, ce braqueur qui s’exprime n’est plus notre voisin de palier ou notre collègue de travail, mais bien (involontairement ?) un vrai conteur, un narrateur qui nous entraîne dans un récit fantastique, que l’on a parfois peine à croire vrai.

Ces contes modernes, épiques, stupéfiants, nous attirent inexorablement. Ce ne sont pas des histoires banales qui sont racontées par ces trois voix, ce sont des échappées extraordinaires, des aventures interdites. Déportés pour un temps dans une projection hors de notre vie quotidienne, nous devenons, comme nos héros, des hors-la-loi. Nous savons pertinemment que braquer une banque ça ne ce fait pas, que ça ne doit pas être un sujet traité à la légère, ni l’objet d’une mise en valeur et pourtant, fascinés, nous préparons le plan du casse, nous imaginons l’adrénaline, nous ressentons la peur. Tout cela, évidemment, sans aucun danger, confortablement installés, loin, bien loin finalement, de l’explosion de ce fourgon blindé. Ici, nous prenons du recul pour observer que nous perdons de vue la limite entre fiction et réalité, mais rappelons-nous justement que ces histoires ne sont pas des fictions, nos protagonistes ne sont pas des acteurs, mais bien trois hommes risquant leur vie, ainsi que celle des autres, pour parvenir à des fins motivées par leurs propres intérêts. Alors, en écoutant ce podcast, ne sommes-nous pas en train de cautionner des actes dont les causes et les conséquences pourraient être discutables ? Ne devenons-nous pas, d’une certaine façon, complices de ces histoires ?

En tous cas, par les questionnements que ce podcast soulève, Arte Radio nous prouve sa force. Il a su ici atteindre nos sentiments, créer de l’empathie, réveiller nos émotions avec un documentaire qui, comme souvent, reste extraordinairement humain.

La chaîne de podcast nous avait déjà habitués à ce type de documentaires atypiques, à ces « bruits pas sages » comme ils les nomment eux-mêmes, avec d’autres documentaires ou créations originales aux formats très diversifiés. On pourrait citer par exemple Crackopolis, quinze récits intenses de cinq minutes où le narrateur nous apprend comment voler, dormir et survivre dans la ville du crack, par Jeanne Robet. Le livreur de cocaïne, en deux épisodes courts, un livreur nous raconte ses nuits parisiennes, les livraisons, et sa place dans le groupe, un documentaire de Merry Royer. Ou encore Le tonton flingueur, dans lequel l’ancien braqueur Jean-Pierre Tagliaferri raconte sa vie, les braquages et les kidnappings, les règlements de comptes et la prison, quatre épisodes documentaires par Eric Robin. Et d’autres encore qui m’auront échappé étant donné la richesse des podcasts proposés. Dans tous les cas, ce sont toujours les mêmes raisons qui nous attirent et nous captent, on parle de choses qui ne se font pas, de choses qui ne se disent pas, on parle d’interdit, et n’oubliez pas, ne tentez pas de reproduire cela chez vous.

Précédemment, l’accent a été principalement porté sur l’aspect auditif ou sur le thème ou le contenu du podcast choisi, mais il est important de souligner l’attention que porte Arte Radio aux illustrations choisies pour représenter chaque podcast. Pour la série des Braqueurs, c’est à Thierry Chavant que l’ont doit les illustrations. Le style très BD, auquel l’auteur semble être habitué, répond parfaitement à la manière dont Arte Radio a présenté les braqueurs. Nous entrons dans une histoire, les dialogues pourraient être ceux des personnages représentés sur les miniatures si on les transposait dans des planches de bandes dessinées. Ces illustrations ont tout de même une grande influence sur la suite de l’écoute, elles nous transportent déjà dans un univers particulier, volontairement, elles définissent la projection que l’on va se faire ensuite, la place n’est donc pas toujours entièrement laissée à l’imagination de l’auditeur. Dans un autre style, mais tout aussi juste, on pourrait citer les dessins plus noirs de Simon Leclerc pour le podcast Fenêtres sur Cour, d’Élise Costa (Arte Radio toujours). L’univers est différent, les illustrations suivent à nouveau le ton. Efficaces, narratives, comme le podcast, dont le format très court de cinq minutes environ va droit au but. Elles ne sont pas abstraites ou suggestives, elles donnent une information, dont le sens se révélera clairement une fois le podcast écouté. En conclusion, Arte Radio prend ici le juste parti de mettre en avant les images sans lesquelles nous ne cliquerions pas pour lancer un podcast.

La ligne de conduite de Arte Radio, ce choix de parler de tout sans rien s’interdire, en abordant un large panel de thèmes, est d’après moi l’une des caractéristiques notables de la plateforme. Il émane de cette chaîne une liberté de parole, une fougue, un certain amusement, qui ne peuvent toutefois pas être confondus avec de la légèreté. Au contraire, parler de tout c’est aussi aborder sans hésiter, mais toujours avec pondération et justesse, des sujets sensibles ; c’est porter un regard critique, prendre parti et explorer les abîmes de sujets sombres ; c’est utiliser son influence médiatique pour informer, vulgariser, mettre en lumière des sujets trop importants ou trop méconnus du public pour être oubliés ; enfin c’est aussi faire rire, offrir la détente et le lâcher-prise. En bref, Arte Radio jongle avec habileté entre des univers que parfois tout oppose pour nous amuser, nous indigner, nous révolter, nous étonner, nous rassurer, nous informer, et ce, pour le plus grand bien de nos oreilles.

Retrouvez tous les épisodes des Braqueurs, et plus encore, sur le site d’ARTE Radio
Toutes les images sont extraites du site arteradio.com