La Revue Terrain

Image - La Revue Terrain
Réalisations Curiosités
<
>

La revue Terrain est une revue d’anthropologie et de sciences sociales qui se veut à la fois à destination des chercheurs et du grand public. C’est une revue semestrielle, qui s’accompagne d’une présence numérique forte avec deux sites, un blog et une présence sur les réseaux sociaux.

Un terrain, c’est l’endroit du potentiel, c’est le terreau des promesses. Le terrain en construction, c’est là où poussent les immeubles, les maisons. C’est la friche, qu’on déblaie, qu’on remblaie, on l’abandonne, on le laisse pour vague, on y projette des vies passées ou futures. Le Terrain est loin d’être ce lieu embarrassant, plein de vide dont on ne sait pas quoi faire. Non, c’est le lieu des possibilités. Le terrain, en anthropologie, c’est encore autre chose : on dit qu’on va faire des enquêtes de terrain. C’est le moment ou l’anthropologue part se mêler à ceux qu’il·elle observe, il·elle définit un espace de recherche, à la fois géographique, temporel, culturel, qui deviendra son terrain. On pourrait continuer encore à dérouler la métaphore, le terrain c’est le lieu du travail collectif, du travail à grande échelle, c’est un espace en devenir, c’est un projet incertain.

Terrain, c’est aussi le nom d’une revue d’anthropologie et de sciences humaines créée en 1983 à l’initiative du Ministère de la Culture. La revue se veut ouverte à un autre public que celui de la recherche : le graphisme, les thématiques, les modes de diffusions traduisent une véritable volonté de la part de la rédaction de parler au grand public. La revue, assez atypique en son genre, est créée suite à l’impulsion du Ministère de la Culture, dans le cadre de son programme de recherche Mission Ethnologique1. Dans les années 80, l’ethnologie française se développe et le gouvernement souhaite investir dans la recherche. D’autres revues d’ethnologie existent déjà, notamment L’Homme, revue française d’anthropologie2, et bien que leur portée et leur importance dans le milieu scientifique puissent être comparables, Terrain est la première revue à être éditée par le gouvernement — là où d’autres revues reçoivent des aides financières sous différentes formes, comme le soutien à l’impression et à la diffusion. Cette première pose de nombreux problèmes : par exemple celui de l’impossibilité du gouvernement à encaisser directement les abonnements, le monopole de l’Imprimerie Nationale… Les autres revues soutenues par le gouvernement le sont via des établissements de l’État, comme le Centre Pompidou, ou le CNMHS3. Cette collaboration dure tout de même dans la durée puisqu’elle ne s’achève qu’en 2015, soit 22 ans après sa création. Lorsque la revue reprend sa publication en 2016, elle est désormais publiée au nom de l’Association Terrain et le gouvernement français soutient financièrement la revue sans être à la tête de sa publication. Il est également soutenu par le CNL, le Musée du Quai Branly et par le Département des Hauts-de-Seine.
Après cette rupture, Terrain décide de prolonger le travail entamé par la rédaction précédente, et publie un numéro 66 nommé Renaître, illustrant bien la volonté de la revue de trouver une nouvelle formule. Les éditions prétendaient déjà s’ouvrir au grand public, avec des thèmes de sociétés, actuels (n° 60 : L’imaginaire écologique, n° 51 : Religion et Politique, n° 42 : Homme/Femme), un graphisme soigné qui invite déjà timidement à une diffusion hors du cercle des chercheur·euses. Mais c’est lors de la reprise de la publication, après 2015, que la rédaction affirme sa volonté d’une revue ouverte à tous·tes, mais qui reste néanmoins rigoureuse, attractive, actuelle.

Désormais, chaque numéro s’enrichit de portfolios d’artistes, d’une iconographie très riche et présente. La revue crée même un partenariat avec l’école Pennighen, où Terrain propose régulièrement aux élèves d’illustrer des articles. L’image à la part belle dans la revue et pour sa nouvelle formule, elle s’habille d’un graphisme signé Antoine Leroux Dhuys. Les titres de chaque numéro sont plus courts et saisissants : Censure (n° 72), Apocalypse (n° 71), Jouir (n° 67)… et semblent emmener le propos de la revue vers des questions plus globales de société. Ces questions sont toujours traitées par des chercheurs·euses en anthropologie, mais pas exclusivement : de nombreuses autres disciplines sont convoquées dans chaque numéro (histoire, sociologie…).
Si la revue s’investit d’une mission d’instruction et de diffusion publique des savoirs, elle fait partie d’une dynamique bien plus grande de la part de l’association Terrain. En effet, la revue se complète d’un site web qui publie les derniers articles (en anglais et en français) répertorie les derniers numéros et donne accès gratuitement à la plupart des articles. Le site propose aussi des rubriques exclusives aux sites Web, apparues suite à la refonte de la revue en 2015. Nommées « Questions », « Terrains », « Portraits », « Glissement de terrain », et « Lectures & débats », elles se situent entre l’approche grand public de la revue et l’entrée universitaire du site web. Elles permettent d’approfondir les questions ethnologiques soulevées dans les articles, et avec des rubriques comme « glissement de terrain », elles contextualisent l’anthropologie ailleurs que dans son propre champ, en invitant des chercheurs à parler d’un film, d’un roman ou autre sous l’angle anthropologique.

En plus du site, Terrain possède un blog nommé « Carnet de Terrain », où les chercheurs abordent l’anthropologie sous des formes plus libres que l’article universitaire, par exemple sous forme d’entretiens vidéo, de focus sur des collections du Musée du Quai Branly, d’articles autour de l’actualité ou de l’actualité de la recherche. Le blog fait lui aussi partie de la plateforme OpenEdition, le plaçant plutôt du côté de la recherche que du grand public.
Si le blog et le site s’affichent un peu plus clairement à destination des chercheurs, et si la revue semble s’adresser à la fois aux chercheurs et au grand public, Terrain a mis à disposition dans son réseau un autre outil de diffusion clairement destiné aux non-initiés de l’anthropologie, le site de la revue Terrain. Apparaissant difficilement dans les résultats de recherches internet, le site peut être accessible via un lien discret sur le site OpenEdition, sous la mention « Partez sur le Terrain ! ». Cet énième appendice de Terrain répertorie tous les articles disponibles en ligne, mais plutôt que de proposer une entrée de recherche via les numéros, les auteurs, les sujets de recherche, ils les rassemblent sous des thèmes aux noms plutôt libres, pas forcément évocateurs, mais qui ont le mérite de piquer grandement la curiosité. Ainsi, sous les illustrations d’Adria Fruitos, les articles sont évoqués grâce à des thèmes comme « Les articles de folie », « Pour Draguer », Pour Planer » ou encore « Pour vous dissuader de devenir ethnologue ». À titre d’exemple, cette dernière rubrique regroupe des articles comme « Violence de la relation ethnographique4 », « Vivre plus loin5 », « L’inconfort du terrain6 », sous un chapeau qui indique : « On dit que l’on devient psychologue quand on est mécontent de soi-même, sociologue quand on est mécontent de sa société, et ethnologue quand on est mécontent de l’un et de l’autre. Zooms sur la cuisine interne et les angoisses existentielles du métier. ». Pour lire lesdits articles, le site nous redirige vers le site OpenEdition de Terrain, et nous ramène à des textes plus universitaires, malgré une présentation qui se veut vulgarisante.
Dernière tentacule du réseau Terrain, le compte Twitter. Il accentue cette volonté de vouloir communiquer avec le grand public, d’être dans le vif et l’accessible. Le fil est assez régulièrement entretenu, il diffuse assez fluidement son actualité, et c’est principalement la seule chose qu’on y retrouve. En plus des sorties du numéro de la revue, ou des nouveaux articles de blog, il relaie les différents évènements autour de la revue et de son réseau. Le compte Twitter peut sembler le bienvenu pour apporter une certaine dynamique à l’ensemble des publications de Terrain : du fait de son appartenance au monde scientifique, le site et le blog livrent des articles à des rythmes assez espacés, et de son côté la revue sort deux numéros par an. Le compte Twitter s’apparente à être une bonne porte vers la diffusion à tous·tes tant voulue par la rédaction de Terrain.

Toutes les démarches éditoriales empruntées par l’équipe de Terrain ont définitivement placé la revue à part dans le monde de l’édition périodique scientifique. C’est un objet hybride, hybride dans ses formes de publications (sites, blog, revue papier…) et dans sa forme graphique et éditoriale. Mais lorsqu’on s’intéresse au fond et qu’on lit les articles présents dans la revue, on se questionne tout de même sur cette prétendue accessibilité : bien sûr, les articles prennent des formes diverses, on retrouve à l’instar de beaucoup de travaux d’ethnologues des récits à la première personne, captivant et impliquant, comme des récits de voyage. Mais on retrouve aussi un jargon spécialisé, et des questions plus pointues qui se cachent sous des titres accrocheurs (Lucas Bessire, « Futurs apocalyptiques : La violente transformation de l’humanité morale chez les Ayoreo du grand chaco paraguyaen », Terrain, n° 71 2019). Il est évident que si la revue veut pouvoir continuer à garder sa rigueur scientifique et garder ainsi son premier public, les chercheurs·euses, les articles ne peuvent être de simples articles de vulgarisation, mais doivent continuer à apporter des réponses complexes aux thèmes — plus simples, eux — qui sont abordés. On entend donc avec raison que la revue, le site, voire le blog entretiennent une précision scientifique nécessaire s’ils veulent continuer à être un outil de la recherche et de diffusion de savoirs, mais on peut se demander si des outils comme le site de la revue Terrain, qui entame une véritable démarche de vulgarisation et s’adresse à un public différent, ne pourrait pas se porter comme un outil de vulgarisation. Des outils qu’on retrouve abondamment dans les champs des sciences naturelles et mathématiques, ou même dans des champs des sciences sociales comme l’histoire, où les chaînes vidéo de vulgarisation, les livres, bandes dessinées, films font légions, mais que l’anthropologie semble bouder. Avec une ambition d’ouverture au grand public aussi large que celle ambitionnée par Terrain et avec sa palette d’outils et de ressources mises en place, on ne pourrait qu’espérer que Terrain ouvre une petite entrée vers la vulgarisation de l’anthropologie.
Mais patience, l’anthropologie continue son essor, et la revue, comme le montrent sa structure éditoriale tentaculaire et l’histoire mouvementée de sa création (puis de sa résurrection), nous rappelle que la recherche est un terrain qui se construit petit à petit.

1. La Mission ethnologique est un programme de recherche anthropologique crée dans les années 80 par le gouvernement, qui pris successivement Patrimoine ethnologique, mission à l’Ethnologie, puis mission Ethnologie, et qui visait l’essor de l’anthropologie française. 2. Revue crée par É.Benveniste, P.Gourou et C.Lévi-Strauss en 1961, qui rassemblent des textes de la recherche anthropologique. 3. CNMHS : Caisse Nationale des Monuments Historiques et de Sites. 4. Natacha Giafferi, « Violence de la relation ethnographique », Terrain [En ligne], 43 | septembre 2004, mis en ligne le 05 septembre 2008, consulté le 21 janvier 2020. URL  ; DOI : 10,400 0/terrain.1864 5. Nastassja Martin, « Vivre plus loin », Terrain [En ligne], 66 | octobre 2016, mis en ligne le 15 décembre 2016, consulté le 20 janvier 2020. URL ; DOI : 10,400 0/terrain.16008 6. Martin La Soudière (de), « L’inconfort du terrain », Terrain [En ligne], 11 | novembre 1988, mis en ligne le 04 janvier 2012, consulté le 21 janvier 2020.; DOI : 10,400 0/terrain.3316