Dans cet article nous raconterons une collaboration insolite qui dura pendant 50 ans. À partir d’une idée du dessinateur-illustrateur René Dosne qui a su faire de ses deux passions : les pompiers et le dessin, un projet grandiose qui déterminera sa vie.
Les origines du croquis opérationnel
Dessins de véhicule d’incendie dans les cahiers de âgé de 9 ans. (1956)
Le dessin et les incendies suscitent chez René Dosne la flamme de la passion depuis l’enfance et, très tôt, il dessine des camions de pompier. Il connaît cet univers et le représente parfaitement à une époque où la photographie argentique ne permettait pas d’avoir une photo instantanément à portée de main comme aujourd’hui avec nos smartphones. Il fait ses études en art et va dessiner en parallèle les véhicules dans une caserne de pompiers. Âgé de 18 ans, René Dosne illustre les grosses interventions du mois des pompiers de Paris pour le Magazine Allô 18 (1). Son premier dessin est publié en avril 64. Jusqu’alors ce n’est qu’un artiste passionné et virtuose. Son parcours prend une autre tournure à partir de juillet 1964 lorsqu’il se rend sur un incendie complexe qui se développera sur une après-midi entière d’une usine rue du Sergent Bauchat. Le Commandant des Opérations de Secours demande à René Dosne, simple illustrateur, de dessiner le développement du feu : du sous-sol à l’embrasement final. Grâce à cette intervention, René Dosne a eu le temps de voir et comprendre comment un incendie se développait dans un bâtiment (2).
Cette alliance du COS et de René Dosne est à l’origine d’un nouvel usage du dessin. Ce dernier n’est plus illustratif, mais devient fonctionnel.
La vie suit son cours et en 1965, René Dosne fait son service militaire à la brigade pour apprendre le métier de pompier. Cette expérience lui permet de devenir réserviste à la BSPP et, pour répondre aux exigences des disponibilités des appels, René Dosne choisit une activité libérale : graphiste.
À force d’entraînement, René Dosne apprend à saisir les besoins du COS (3) (qui l’oriente sur le terrain) et identifie les apports potentiels de son travail de croquis opérationnels (CO). Ses croquis in situ finissent par donner au COS des idées de manœuvre (4). Confirmant la plus-value du travail de René Dosne, la BSPP (5) lui demande progressivement d’être présent rapidement SLL (6). Le but est de produire des dessins utiles au COS dans les premières décisions. Cela provoque des changements dans la démarche de l’artiste qui est désormais confronté lors de sa conception de croquis : au feu, à la fumée, à la visibilité faible et à l’incertitude radicale liée à la cinétique du feu.
À l’époque, le dessinateur doit justifier sa présence sur le terrain en écoutant et observant les interventions sans prendre part aux décisions. Son travail parle pour lui. Les croquis opérationnels sont une représentation 3D qui permet une vue verticale de la propagation des incendies. À l’époque où les pompiers ne disposaient que de cartes 2D horizontales compliquées à décrypter pour les non-initiés à l’architecture, les croquis de René Dosne sont intelligibles instantanément au plus proches de la façon dont le feu se diffuse dans l’espace. Cela prendra une bonne dizaine d’années pour que les croquis répondent à des finalités opérationnelles, reconnues et en temps réel.
L’arrivée des téléphones portables
René Dosne saisit les opportunités technologiques. En 1990, il acquiert le premier fax autonome embarqué pour transférer ses croquis à L’ÉTAT MAJOR (au centre opérationnel). Cela permet d’apprécier la situation à distance, soutenir les décisions et anticiper les demandes de renfort. À l’arrivée des premiers téléphones portables avec une fonction photographique correcte, le dessinateur est le premier à s’en saisir. Non comme une reconversion en tant que photographe, mais au contraire prendre ses croquis en photo et les envoyer plus rapidement au commandement.
Il arrive régulièrement qu’on demande à l’illustrateur : Pourquoi les photographies n’ont-elles pas remplacé les croquis opérationnels ?
Il répond : « Parce qu’un dessinateur opérationnel voit au travers des murs. Il ne dessine pas ce qu’il voit comme les autres dessinateurs, mais ce qui est utile de voir. Le dessinateur opérationnel fait un travail de tri mental : observe le bâtiment et la situation et se demande ce qu’il conserve et ce qu’il enlève. »
C’est pour ça que selon René Dosne, le métier de dessinateur opérationnel a encore de belles dizaines d’années devant lui.
La thèse de René Dosne : « En résumé : Quelles que soient les améliorations et les avancées technologiques, pour l’instant, elles ne valent pas un dessinateur avec un bloc-notes et un crayon qui fait le tour du feu, qui entre dans le bâtiment, qui va se renseigner sur ce qui s’est passé et qui ressort avec une image à donner au commandant des opérations de secours. »
Dessine-moi une carrière à la BSPP
Tout au long de son parcours, René Dosne intervient sur une quarantaine de sinistres par an. Cela comprend les incendies, mais également d’autres types d’interventions comme les explosions, les accidents ferroviaires, des effondrements d’immeubles, etc.
En 2003, le Général Debarnot officialise la fonction de dessinateur. René Dosne est officiellement rattaché à la BSPP en qualité de réserviste et touche enfin une solde. Il obtient également un statut de Lieutenant-Colonel et une voiture de service.
René Dosne a fini par prouver la pertinence opérationnelle et cognitive du CO. La BSPP confère à l’artiste une expertise reconnue et rare due à sa capacité à rendre compte graphiquement les modalités de propagation des feux.
René Dosne et la BSPP collaborent avec ces dessins pendant 47 ans. Durant cette période les techniques de transmission d’image, de réalisation de dessin et d’impression ont énormément évolué, mais la pertinence des dessins reste prouvée.
La philosophie enseignée au futur dessinateur opérationnel est la rapidité, la clairvoyance, le jugement et demande un bon vécu opérationnel pour comprendre les problématiques de l’intervention. Le pompier dessinateur opérationnel doit rentrer dans le bâtiment au plus près de l’incendie jusque derrière les porte-lances pour faire ses croquis et prendre des notes.
Il doit savoir associer le contenu et le contenant pour en faire un croquis pédagogique qui explique l’essentiel. Ne surtout pas faire un « dessin d’art ». La clarté et la simplicité sont les maîtres mots pour faire comprendre des informations complexes en cas de situations de stress. Il doit être capable de fournir un croquis 10 à 15 minutes après son arrivée sur les lieux. Ce parcours de 50 ans débouche sur une fonction officielle : le DESSINATEUR OPÉRATIONNEL !
(1) Magazine officiel de la BSPP depuis 1947. 6 n° par an diffusés en France et à l’étranger (17 000 abonnés)
(2) Voir interview René Dosne par la BSPP
(3) Commandant des opérations de secours
(4) Terme professionnel : étapes préalables à la décision du COS concernant les modalités d’interventions
(5) Brigade des Sapeur Pompiers de Paris
(6) Sur Les Lieux